Si vous n’êtes pas certain que le gouvernement devrait investir davantage dans la prestation de soins, cet article est pour vous. Je raconte l’expérience d’un couple : Yanick et Gisèle. Leur témoignage sincère et puissant. Voici comment ils sont devenus des aidants aguerris.
Comment tout a commencé...
Yanick et Gisèle s’occupent du frère et de la belle-sœur de Yanick. Ils s’occupent d’eux avec une approche humaine. Empathie. Sans jugement.
Le frère et la belle-sœur de Yanick, un couple sans enfant, sont tous deux atteints d’une maladie neurocognitive. Ils sont incapables de prendre soin d’eux-mêmes et d’administrer leurs biens.
À l’hiver 2021, le frère et la belle-sœur de Yanick ont été placés dans un CHSLD. Depuis le placement en institution, Yanick et Gisèle, qui sont retraités, consacrent en moyenne une dizaine d’heures par semaine pour les deux bénéficiaires.
Les deux soignants ont toujours été très proches du frère et de la belle-sœur de Yanick :
« Avant le placement, nous étions des personnes pleines de ressources pour tout. Jamais ils n’ont pensé à demander conseil à quelqu’un d’autre de la famille. Ils ont toujours eu une confiance illimitée en nous deux.
Avant leur placement, le frère et la belle-sœur de Yanick ne voyaient que quelques personnes, à l’exception de Yanick et de Gisèle. Ils étaient très isolés.
Les grands défis de Yanick et Gisèle
Absence de procuration médicale
Yanick et Gisèle décrivent leur expérience en tant qu’aidants comme étant douloureuse puisque ni le frère ni la belle-sœur de Yanick n’ont de procuration notariée. Yanick doit donc prendre toutes les décisions médicales même si son frère et sa belle-sœur ne lui en ont jamais parlé :
« S’il attrape un virus, nous donnez-vous l’autorisation de lui donner des antibiotiques ? Peut-on le mettre sous une tente à oxygène ?

Yanick souligne à quel point il est difficile de prendre des décisions intimes pour une autre personne :
« Je prends une décision mais je me dis : est-ce que c’est ce qu’ils veulent ? Est-ce ce qu’ils auraient voulu ? Pour prendre une décision, je me demande ce que je voudrais.
Procuration pour l’administration des biens
Le fait donc de ne pas avoir de procuration complique grandement les soins :
« Chaque fois que vous téléphonez pour eux (par exemple, arrêter une carte de crédit), la première question qu’ils vous posent est la suivante : avez-vous une procuration ? Vous n’avez pas de procuration ? Je ne peux pas vous répondre.
Procéder au placement sans procuration fatiguait Yanick et Gisèle physiquement et moralement. D’un point de vue théorique et sur le plan juridique, ils n’avaient pas le droit de vider l’appartement du frère et de la belle-sœur de Yanick ni de gérer leurs biens. Ainsi, la loi donne deux mois aux occupants pour quitter leur logement lorsqu’il y a un placement dans un CHSLD.
Alors, que pouvaient faire Yanick et Gisèle ?
Rien de plus que ce qu’ils ont fait.
C’est-à-dire que « la loi est faite pour ceux qui ont signé des papiers », pour reprendre l’expression de Yanick.
Les finances
Le frère et la belle-sœur de Yanick seront éventuellement sous la tutelle du gouvernement pour la gestion de leur propriété, mais en attendant, ce sont les deux soignants qui les paient :
« Je suis tombée sur quelqu’un qui pense comme moi, qui a un grand cœur comme moi. » (Crédit : Yanick)
Pourtant, malgré leur implication financière, Yanick et Gisèle ne sont au courant d’aucun soutien économique gouvernemental.
Mais Yanick et Gisèle se lancent. Ils ne perdent pas espoir. Et ce, même si leur bien-être en prend un coup.
Bien-être des aidants
En effet, entre les visites au CHSLD, faire les courses pour leurs proches, vider l’appartement, ramasser le courrier, c’est de quoi s’épuiser considérant que Yanick et Gisèle ne rajeunissent pas. Cela se traduit parfois par des choix alimentaires moins sains et une incapacité à s’adonner à des activités de loisirs.
Yanick a l’impression d’avoir un poids sur le dos : « Je suis responsable de deux êtres humains. »
Depuis le déménagement de son frère, Yanick a des problèmes de santé : « Ça va s’améliorer, je dors mieux, mais il y avait des nuits, au début, je ne dormais pas. » »
La tristesse
Être proche aidant a son lot d’émotions. Yanick raconte qu’elle peut sortir du CHSLD avec le sourire, ou qu’elle a besoin de son soutien de son conjoint car son frère erre complètement.
« La dernière fois que je suis allé voir mon frère, il ne m’a pas reconnu. Mon frère ne peut s’empêcher de me reconnaître !
Yanick constate que le deuil avant la mort associé à une maladie neurocognitive (https://www.lappui.org/Conseils-pratiques/Alzheimer-et-autres-maladies-neurodegeneratives/Comment-se-preparer-au-deuil-blanc) est plus difficile que le deuil d’un défunt parce qu’il dure longtemps.
« Je suis toujours inquiet. Va-t-il perdre plus d’autonomie ? J’ai peur et je me sens mal que ça aille plus loin. C’est l’incertitude et l’inconnu.
De plus, parce que beaucoup de personnes de l’entourage de Yanick et Gisèle sont en perte d’autonomie, cela fait beaucoup de chagrins en même temps.
La culpabilité
Il n’y a pas seulement de la tristesse, mais aussi de la culpabilité :
« Je m’en veux. J’aurais dû y aller plus tôt pour voir que ça ne se passait pas bien. S’ils avaient eu de l’aide plus tôt, ils n’auraient peut-être pas été au même point qu’ils le sont maintenant. Je culpabilise quand je ne vais pas voir mon frère. Je me sens coupable de tout. Je me sens coupable de ne pas aller le voir plus souvent. Je veux qu’il n’ait besoin de rien. Je me sens coupable de ne pas penser à tout. (Crédit : Yanick)
Peu de soutien de la part de la famille élargie
Yanick a également trouvé difficile qu’aucun des membres de sa famille élargie n’ait appelé pour avoir des nouvelles de son frère ou de sa belle-sœur. Elle se demande s’ils craignent de devoir s’impliquer dans les soins ou si c’est l’indifférence.
« Ça m’a rendu triste, je me suis habitué à l’idée, mais j’aurais aimé recevoir une petite tape sur l’épaule, un petit mot. »
Ressources pour les aidants naturels
Yanick et Gisèle s’estiment peu informés sur les ressources pour les proches aidants. Ils ont également bénéficié de l’appui de professionnels du domaine juridique (notaire, avocat).
La pandémie
Sans aucun doute, la pandémie a imposé des contraintes à Yanick, à Gisèle ainsi qu’au frère et à la belle-sœur de Yanick. Par exemple, avant d’être admis au CHSLD, le frère de Yanick a été hospitalisé parce qu’il souffrait de dénutrition et de déshydratation. Malgré cette situation douloureuse, Yanick n’a pas pu rendre visite à son frère à l’hôpital à cause de la COVID-19.
Autre exemple : entre l’hôpital et le CHSLD, le frère de Yanick a été placé dans un centre fermé (zone tampon en raison de la COVID-19).
« Il criait dans le couloir : Yanick, emmène-moi avec toi. Je n’ai rien fait. Pourquoi suis-je en prison ? Je me suis effondré dans l’ascenseur.
De plus, dans la zone tampon, le frère de Yanick ne pouvait pas marcher comme il en avait l’habitude. Il a dû rester dans sa chambre pendant deux semaines. Et il ne comprenait pas quand on lui donnait des explications.
La COVID-19, c’est aussi :
- Le droit d’avoir un maximum de deux visiteurs, mais pas ensemble et pas le même jour.
- L’obligation de prendre rendez-vous. Donner les heures d’arrivée et de départ.
- Se faire accompagner pour se rendre à la chambre du bénéficiaire et redescendre.
- Le port du masque et de la visière, qui empêche d’avoir un bon contact avec les résidents (difficulté à se reconnaître).
- Les bénéficiaires, comme le frère de Yanick, qui ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas tenir dans leurs bras leur bien-aimé.
Ce qui aide Yanick
Le fait d’être à la retraite
Dans le cadre du placement en CHSLD, Yanick et Gisèle ont apporté leur soutien au frère et à la belle-sœur de Yanick pendant environ deux mois à raison de 4 jours par semaine.
Ils disent qu’ils n’auraient pas pu offrir ce soutien s’ils avaient travaillé. La raison en est que tous les professionnels de la santé appellent pour la journée :
« Quand on travaille, on ne peut pas recevoir dix appels par jour. »
Yanick et Gisèle pensent que le marché du travail n’est pas adapté aux proches aidants. Que seuls certains emplois sont plus flexibles et permettent le travail de conciliation/soins.
Le soutien de Gisèle
Gisèle offre un grand soutien émotionnel à Yanick. Elle est très à l’écoute. Si Yanick a envie de pleurer, elle pleure. Yanick n’échangerait pas ce soutien pour le monde.

Yanick pense que cela doit être terrible pour un aidant qui n’a pas de soutien. Selon elle, un proche aidant qui ne reçoit pas de soutien serait en moins bonne santé ou serait plus fragile émotionnellement.
Les qualités de Yanick
Les ressources internes de Yanick l’aident à être plus sereine face à ce qu’elle vit. En effet, Yanick aime les gens tels qu’ils sont, sans les juger. Elle est aussi généreuse et elle n’attend rien en retour.
Collaboration avec les équipes de traitement
Yanick trouve les équipes de traitement de son frère et de sa belle-sœur extraordinaires. L’information médicale circule très bien, et si elle a des questions, le personnel est très ouvert.
« Comme hier, le diététicien m’a appelé pour savoir ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, s’il a des allergies et des intolérances alimentaires. Qu’est-ce qu’il mange habituellement au petit-déjeuner ?
Les équipes de soins tiennent des rencontres interdisciplinaires auxquelles participe Yanick. Chaque professionnel ou travailleur explique son rôle au bénéficiaire. Et à chaque fois :
« Pensez-vous que nous pourrions faire autre chose ? Ensuite, je donne des suggestions. Oui, c’est une bonne idée. Non, nous ne le pensons pas.

Yanick constate que les bénéficiaires sont respectés et bien encadrés. L’atmosphère est calme et comme une famille.
Les bons moments
Heureusement, les bons moments ont mis un baume sur les difficultés vécues. Yanick est toujours heureuse de voir ses proches : « Je les aime. »
Elle jouit de leur bonheur :
« J’ai l’impression qu’il me prend encore pour sa petite sœur. Il m’explique les choses. Je sens qu’il en est heureux. S’il est heureux, je suis heureux. Peu importe si ce qu’il dit n’a pas de sens.
Or:
« C’est la première fois en 20 ans que ma belle-sœur me dit qu’elle est heureuse. Cela me fait plaisir d’entendre cela. C’est comme si j’avais fait le bon choix.
Et pour conclure
Yanick et Gisèle nous ont raconté leur expérience unique en tant qu’aidants. Ils ont discuté de leur isolement, de leurs décisions déchirantes, de leur fatigue, de leur tristesse et de leur culpabilité.
Mais loin de s’avouer vaincus face aux nombreux défis de la prestation de soins, ils ont suscité de l’empathie et de l’espoir.
Ils ont montré l’importance du soutien. L’accompagnement sous toutes ses formes : économique, au sein du marché du travail et des ressources pour les aidants.
Je tiens à remercier Yanick et Gisèle d’avoir partagé leur histoire.
Si cette histoire vous parle, envoyez-moi vos pensées, je serai ravi de discuter avec vous. Si vous souhaitez le partager avec vos proches, partagez-le autant que possible.